lundi 28 juin 2010

Migrations et accueil

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Par l’Abbé Alain René Arbez
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Lundi 28 juin 2010 – 16 Tammuz 5770
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Résumé : Elles sont nombreuses les banlieues de France, d’Angleterre, d’Allemagne, d’Italie où ce sont les autochtones qui doivent se faire « intégrer » par les habitants venus d’ailleurs et occupant tout le terrain sans ménagement. Des autochtones qui doivent – chez eux – se faire accepter par des étrangers ayant imposé leur loi et leurs coutumes et abusant de revendications sans limites.
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Texte intégral : Malgré le déni réitéré des instances officielles civiles et, parfois, religieuses, la coexistence entre groupes humains de cultures et d’origines différentes pose de graves problèmes dans la vie quotidienne de nos pays démocratiques. Chaque jour apporte son lot de faits divers illustrant le pénible « choc des civilisations » au niveau de monsieur et madame tout-le-monde. Cette question sensible – évidemment sujette à récupérations politiciennes diverses - ne peut cependant pas être abordée sous le seul angle politiquement correct des « droits de l’homme ». Certes, les consciences humanistes sont interpellées par les recommandations des instances internationales qui reconnaissent la détresse des réfugiés, lorsqu’ils sont chassés de leur pays par la guerre civile, les violences ou la discrimination. Pensons aux chrétiens persécutés en Irak, au Pakistan, en Afghanistan et ailleurs. Les obligations éthiques d’accueil, dans ces cas très précis, sont évidentes. Mais lorsque certains discours, (logique de gauche ou angélisme ecclésiastique) tendent à globaliser les problématiques, et à écarter d’avance tout discernement des situations, et toute maîtrise des flux incessants, il y a de quoi s’interroger.
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En effet, quand des personnes ou des familles arrivent dans un pays d’Europe, la plupart du temps clandestinement et en majorité venant de régions islamiques, l’impératif de l’accueil de l’étranger ne peut s’appliquer systématiquement et de manière aveugle. S’il est vrai qu’une proportion significative d’individus et de groupes fuient des conjonctures de misère, de guerre, de persécution, d’autres - les plus nombreux - viennent simplement tenter leur chance dans des économies plus généreuses. Or, depuis environ une quarantaine d’années, des millions d’individus venant majoritairement de pays musulmans ont migré et se sont installés dans les cités des nations européennes de civilisation judéo-chrétienne. Un tel transfert de peuplement allogène en si peu de temps ne s’est jamais produit auparavant sur le vieux continent. Les conséquences de ces implantations massives de peuplement en période de dénatalité occidentale ne sont pas toutes prévisibles, et en tout cas les dirigeants ne les ont apparemment pas beaucoup prises en considération.
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Il est clair que par ailleurs nos pays occidentaux n’ont pas les moyens d’accueillir « toute la misère du tiers-monde » selon la formule rocardienne. Ne faudrait-t-il pas plutôt augmenter significativement les aides européennes, avec contrôle sur place, dans les pays qui cherchent réellement à se doter de structures productives ? Ne faut-il pas multiplier d’urgence les expériences de commerce équitable, afin de donner de nouvelles opportunités aux paysans des pays pauvres et d’en consolider le développement durable ? Quels critères peut-on aujourd’hui mettre en évidence pour répondre au défi éthique de « l’accueil de l’étranger » mais en apportant des réponses en prise avec la réalité et dont l’équation économique soit soutenable pour les contribuables concernés ?
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Assez fréquemment, les Eglises répercutent avec plus ou moins de pertinence les appels que l’Ecriture sainte nous adresse en ce qui concerne l’accueil de l’étranger. Mais si l’on regarde à la manière d’un slogan ce que recommande la Tradition judéo-chrétienne sur ce terrain, le risque existe de perdre de vue les critères appropriés à l’actualité et à ses enjeux. Hospitalité, accueil, les hommes et les femmes de la Bible savent de quoi ils parlent. Dans un tout autre contexte que celui de nos nations modernes, ils ont migré il y a quatre mille ans du Croissant fertile vers les terres de Canaan. Ces régions ont longtemps connu toutes sortes de mouvements de peuples dans de grands espaces où sédentarité et itinérance ne correspondaient pas à ce qu’il en est aujourd’hui. Dans l’histoire d’Israël, on sait qu’à certaines périodes de vaches maigres, des tribus sont parties travailler en Egypte. L’épisode fondateur de l’Exode est issu de cette situation d’un peuple aux prises avec les conditions de vie du pays d’accueil devenues insupportables et captatrices de son avenir.
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Avec compassion, rapporte l’Ecriture, le Dieu d’Abraham et de Moïse a pris parti pour les Hébreux devenus esclaves, et il les a aidés, non pas à s’assimiler, mais à regagner librement leur terre, une terre de promesses, pour la développer humainement. Sur la base d’un pacte, Dieu a encouragé ce peuple à s’approprier son histoire et à renforcer son identité spirituelle dans son espace civilisationnel. Ce qui a été encore confirmé lors du retour d’exil de Babylone vers Jérusalem. Dans la foi biblique, l’être humain est « image de Dieu », par conséquent le respect de la dignité humaine est à la base même de la charte de l’alliance. On saisit pourquoi la qualité d’accueil de l’immigré en terre d’Israël est si fortement soulignée dans les Ecritures : « Tu ne maltraiteras pas l’étranger, et tu ne l’opprimeras pas, car vous avez vous-mêmes été étrangers au pays d’Egypte » (Ex 22/21). Et encore : « Cet étranger qui vit chez vous, vous le traiterez comme un natif du pays, comme l’un de vous. Tu l’aimeras comme toi-même » (Lv 19/33).
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Faut-il préciser, pour éclairer les débats d’aujourd’hui, qu’un étranger était accueilli et respecté dans le cadre obligatoire d’une certaine réciprocité qui fait défaut de nos jours. On lit en Ex 12/49 : « La même loi existera pour l’indigène et pour l’étranger en séjour au milieu de vous ! ». C’est avec cet éclairage volontariste qu’il faut comprendre l’appel lancé par Jésus : « J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ! » (Mt 25/35). Si tout étranger s’attendait à être traité dignement, il devait en retour respecter les lois et coutumes d’Israël, pays d’accueil, c'est-à-dire renoncer à imposer à ses hôtes ses propres coutumes. Les prophètes étaient certainement les premiers à dénoncer l’égoïsme des fils d’Israël quand il le fallait, mais ils dénonçaient aussi vigoureusement l’importation de coutumes allogènes dangereuses pour la cohésion spirituelle des habitants légitimes du pays.
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Les multiples croyances issues du paganisme étaient en effet incompatibles avec les valeurs de la Tradition biblique, où sagesse et prophétie refusent que soient idolâtrés le pouvoir, l’argent, le sexe. Ainsi sont exclues toutes formes de magie et superstition, néfastes pour l’être humain, seul le Dieu des pères étant le garant de la justice et de l’harmonie sociale. Même si des règles de vie en commun mettent certaines limites préventives, il n’y a pas pour autant de xénophobie dans la tradition d’Israël. Pensons aux épisodes de Naaman le Syrien ou à Elie chez la veuve de Sarepta. On le constate, le recours à l’asile existe déjà dans la Bible : Moïse l’a institué en établissant six cités-refuge afin de permettre par exemple à un homme poursuivi pour un crime involontaire d’échapper aux châtiments expéditifs. Il parlait par expérience ! Le livre d’Isaïe nous donne également un aperçu de ce droit, lorsqu’il est question d’accueillir les rescapés des massacres du royaume voisin de Moab (Is 16/3).
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Très tôt, l’Eglise chrétienne a recadré ce recours à l’asile dans son droit canonique et le code de Théodose en garantit les modalités, même si à partir du Concile de Tolède (7ème siècle) des restrictions y sont apportées pour lutter contre certains abus. Concernant l’accueil des étrangers, migrants et réfugiés, au 21ème siècle, l’enseignement de l’Eglise offre un éclairage équilibré. Contrairement à certains discours politiciens et démagogiques, le Magistère a toujours le souci de faire coexister les droits et les devoirs, afin d’éviter tout manichéisme. Retenons à ce sujet le § 2241 du catéchisme de l’Eglise catholique : « Les nations les mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de la sécurité et des ressources vitales qu’il ne peut trouver dans son pays d’origine.
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Mais n’oublions pas les lignes qui suivent : Les autorités politiques peuvent, en vue du bien commun, subordonner l’exercice du droit d’immigration à diverses conditions juridiques, notamment au respect des devoirs des migrants à l’égard du pays d’adoption. L’immigré est tenu de respecter avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel de son pays d’accueil, d’obéir à ses lois et de contribuer à ses charges ». L’émergence, dans nos états-providence, d’une prétention idéologiquement « multiculturelle », suscite de graves questions pour l’avenir. Car si l’identité culturelle et spirituelle du pays d’accueil s’efface peu à peu au profit d’un relativisme à géométrie variable, l’idée même d’intégration des étrangers perd tout sens. S’intégrer à quoi ?
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Elles sont nombreuses les banlieues de France, d’Angleterre, d’Allemagne, d’Italie où ce sont les autochtones qui doivent se faire « intégrer » par les habitants venus d’ailleurs et occupant tout le terrain sans ménagement.
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Des autochtones qui doivent – chez eux – se faire accepter par des étrangers ayant imposé leur loi et leurs coutumes et abusant de revendications sans limites. Autant il est intolérable que soient méprisées par préjugé les personnes appartenant à d’autres cultures, autant il est inacceptable que les autochtones soient continuellement culpabilisés et pressurés.
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